Choisir ses bâtons en ultra-trail : impact réel sur la performance et l’économie énergétique
Les bâtons de trail sont devenus un équipement quasi-standard sur de nombreux ultras de montagne. Ils promettent de répartir l’effort, d’épargner les quadriceps en montée et d’apporter de la stabilité en descente. Mais qu’en est-il vraiment du point de vue physiologique et de l’économie énergétique ? Et surtout : comment choisir et utiliser des bâtons pour maximiser l’avantage (ou minimiser l’impact négatif) sur la performance ?
1. Ce que dit la science en bref
La littérature converge sur quelques constats récurrents :
- L’utilisation de bâtons augmente souvent la dépense énergétique (VO₂) et la fréquence cardiaque à vitesse équivalente, c’est-à-dire que la « running economy » mesurée est en général moins bonne quand on utilise des bâtons sur terrain plat ou à allure donnée. Plusieurs revues et expériences de terrain ont montré une hausse du VO₂ sans augmentation sensible du taux d’effort perçu (RPE).
- Sur fortes pentes (montée raide), l’impact peut être neutre ou bénéfique en termes d’économie, car les bâtons permettent d’appliquer une poussée supplémentaire (levier) avec les membres supérieurs, réduisant la charge relative sur les jambes. Sur ces situations, certains athlètes maintiennent une vitesse de marche plus élevée avec une dépense énergétique/VO₂ similaire ou légèrement moindre.
- Les bâtons réduisent les contraintes sur les articulations et la pression plantaire : études de pression plantaire et d’analyses cinétiques montrent une diminution des forces transmises au membre inférieur, ce qui peut diminuer le risque de dommages excentriques (micro-lésions) et la fatigue locale.
> En résumé : les bâtons modifient la répartition du travail — on transfère une partie de la dépense aux muscles du haut du corps. Cela peut augmenter la dépense énergétique globale, tout en réduisant la fatigue localisée des jambes et en stabilisant la locomotion en terrain technique.
2. Pourquoi on « sent » pourtant un bénéfice malgré une dépense énergétique parfois plus élevée
Plusieurs mécanismes expliquent cette apparente contradiction :
- Redistribution de la charge : transférer une partie du travail vers les bras épargne des ressources musculaires clés (quadriceps/isquiotibiaux) qui s’usent plus vite sur longues descentes et montées répétées. Conserver la fraîcheur des jambes peut permettre de maintenir l’allure globale sur les longues heures, même si l’oxygène consommé est supérieur.
- Amélioration de la stabilité et de la technique : les bâtons diminuent les oscillations du tronc et les mouvements hors-axe, réduisant les corrections posturales coûteuses et le risque de chute. Sur terrain très technique, l’augmentation de VO₂ peut être compensée par une réduction des pertes (chutes, retouches), améliorant le rendement net de la course.
- Effet psychologique : perception de sécurité, meilleur contrôle des appuis, sensation de soutenir l’effort — autant de facteurs qui peuvent maintenir l’allure et la motivation même quand la consommation d’énergie est plus élevée. Plusieurs études notent que le RPE n’augmente pas proportionnellement au VO₂.
3. Pour quels profils et quels parcours les bâtons sont-ils réellement utiles ?
- Ultras très vallonnés / forts dénivelés : forts gains. Quand on passe beaucoup de temps à « power-hike » (marche rapide en montée), les bâtons permettent d’économiser les jambes et de maintenir une vitesse ascendante plus élevée.
- Descendues longues et cassantes : utiles pour stabiliser et réduire la charge excentrique sur les quadriceps — bénéfice pour la préservation musculaire et la réduction du risque de blessures.
- Terrain technique/instable : grand intérêt pour la sécurité et la cadence.
- Courses roulantes, faibles dénivelés, ou poursuites très rapides : l’avantage est discutable ; le surcoût métabolique peut peser et les meilleurs commencent parfois sans bâtons.
4. Impact concret sur la performance : chiffres & études
Les études rapportent des effets variables selon les protocoles, mais des tendances se dégagent :
- Augmentation du VO₂ : plusieurs études montrent une augmentation moyenne du VO₂ de l’ordre de 5–20 % selon la vitesse, le type de terrain et le style d’utilisation. Toutefois, le RPE n’augmente pas forcément.
- Vitesse en montée : sur pentes raides, utilisation des bâtons → maintien ou augmentation légère de la vitesse de montée dans certaines expériences, surtout chez des utilisateurs entraînés.
- Stress articulaire : diminution mesurable des pressions plantaires et des forces transmises au genou/cheville lors de l’usage, ce qui explique la réduction de fatigue locale.
> Conclusion chiffrée : attendez-vous à un trade-off — plus de dépense énergétique globale mais conservation des jambes et meilleure stabilité. Sur des ultras, cette conservation peut se traduire par un meilleur maintien d’allure sur la durée.
5. Comment choisir ses bâtons : critères techniques et recommandations
5.1. Type & système de pliage
- Bâtons télescopiques (3 sections) : compacts et polyvalents. Plus légers selon les modèles.
- Bâtons à serrage (flicklock) : rapide à régler, fiable.
- Bâtons relevables/fixés (rando) : plus robustes mais lourds — moins adaptés aux courses rapides.
Conseil : privilégier des bâtons pliables légers avec système de verrouillage fiable (flicklock) pour un compromis compacité/solidité.
5.2. Poids
- Plus légers = meilleure économie pour le haut du corps, moins de fatigue bras/épaules à long terme.
- Le poids influence surtout le confort et l’inertie (manipulation), mais plusieurs études indiquent que des variations modestes de masse ont peu d’effet sur VO₂ ; cependant, en ultra chaque gramme compte.
Conseil : viser ~200–250 g par bâton pour une utilisation course (modèles « racing ») ; si vous comptez sur une robustesse extrême (alpi léger), acceptez un peu plus de poids.
5.3. Matériaux
- Carbone : léger, raide, mais cassant en torsion/chocs.
- Aluminium 7075/6061 : plus robuste, légèrement plus lourd ; tolère mieux les chocs latéraux.
Conseil : carbone pour ultra-performance sur terrain non abrasif ; aluminium si terrain rocheux/risque de choc.
5.4. Poignée & dragonne
- Grip ergonomique (liège, mousse EVA) : confort et absorption de la transpiration.
- Dragonnes réglables : permet de transférer la poussée au poignet sans verrouiller la prise.
Conseil : testez en magasin la prise en main — la poignée doit rester confortable plusieurs heures.
5.5. Pointes & rondelles
- Pointes carbure : meilleure accroche sur rocher.
- Rondelles larges : utiles dans la boue/neige pour éviter l’enfoncement.
6. Technique d’usage : tirer le meilleur parti
- Réglage de la longueur : coude à ~90° quand le bâton touche le sol en position de propulsion. Raccourcir en montée raide, allonger en descente pour meilleure stabilité.
- Poussée active en montée : utiliser le tronc et l’extension des bras pour propulser vers l’avant (pas seulement appui passif).
- Placement en descente : poser les bâtons légèrement en avant pour freiner les oscillations et répartir l’énergie d’impact.
- Transition manche ↔ bâtons : s’entraîner au maniement (replis, sortie, rangement) pour gagner du temps et ne pas perdre de rythme.
7. S’entraîner avec les bâtons : indispensable
Ne pas improviser l’usage le jour J. Quelques recommandations d’entraînement :
- 4–6 semaines d’adaptation : sorties progressives pour renforcer épaules, triceps et améliorer la coordination.
- Simulations de montée et descente : répéter les gestes en condition (pente, fatigue).
- Travail de renforcement du haut du corps : séries ciblées pour stabiliser le geste (tractions, dips, gainage, travail des deltoïdes).
8. Aspects pratiques en course (logistique)
- Portage : attacher ou ranger facilement (système clip/attache/Carquois) pour sections roulantes.
- Réparation : choisir des bâtons avec pièces de rechange disponibles (pointes, rondelles, embouts).
- Poids total : considérez le poids additionnel sur vos mains/bras sur 20–40 h — planifiez un renforcement adapté.
9. Verdict pratique pour le traileur confirmé
- Sur ultras montagneux (beaucoup de D+ et D−, sentiers techniques) : fortement recommandé. Les gains en préservation musculaire et en sécurité dépassent souvent le surcoût métabolique.
- Sur parcours roulants et rapides : l’utilisation est discutable — testez à l’entraînement ; beaucoup de coureurs optent pour pas de bâtons ou les gardent rangés.
- Choix : privilégier légèreté, fiabilité du verrouillage, poignée confortable et pointes adaptées au terrain.
10. Sources & lectures recommandées